C'est la chasse aux préfets, à tous les sens du terme
C'est la chasse aux préfets, à tous les sens du terme
Belle année pour les préfets que celle qui vient de s’écouler. Dès janvier, ils ont appris à connaître les nouvelles méthodes managériales qui leur ont été réservées à la tête de l’Etat.
Souvenez-vous, le préfet de la Manche. Lors d’une visite officielle à Saint-Lô, le « malheureux » Jean Charbonniaud
n’avait pas repoussé suffisamment loin de Nicolas Sarkozy la horde de « vrais gens » venus lui dire tout le mal qu’ils pensaient de la réforme Darcos. Disgracié, il est nommé
préfet hors cadre.
Au cours de l’été, Jacques Laisné, le préfet du Var a, lui aussi, eu droit à une mutation-sanction : il a été prié d’aller voir à la Cour des comptes locale s’il y était. Beaucoup voulaient voir à l’époque, derrière cette mesure, la main d’un Sarkozy furieux de ne constater aucune avancée dans le dossier du tout-à-l’égout de la villa du Cap Nègre de belle-maman. Il semble plus simplement que ce soit le maire de Toulon, Hubert Falco, alors secrétaire d’Etat à l’Aménagement du territoire, qui n’ait pas cherché à « retenir » Jacques Laisné. D’autant que Falco lui avait trouvé un remplaçant idéal.
Les préfets ? Des fusibles ? Rien de bien nouveau sous le soleil de la République ? Et pourtant, la grogne de ces hauts-fonctionnaires habituellement si discrets a commencé à se faire entendre cette année. Ils ont créé leur « Club », les représentants de l’Etat n’ayant pas droit de se constituer en syndicat. Et ce « Club des préfets » a permis aux langues de se délier. Notamment dans l’article que Le Monde avait consacré au lancement de cette nouvelle structure sous le titre évocateur : « Le « blues » des préfets, bousculés par le gouvernement ». « Jamais la fonction n'a autant été politique », témoignait par exemple l’un d’entre eux, sous couvert d’anonymat, « D'habitude, nous sommes à la fois des représentants de l'Etat et des représentants du gouvernement, mais, désormais, les seconds ont pris le pas sur les premiers. »
A priori, le mécontentement des préfets n’est pas arrivé jusqu’aux oreilles des intéressés. Ou peut-être bien que si, au contraire. Voilà que l’on apprend que l’Etat leur a réservé une nouvelle délicatesse qu’ils sauront apprécier. Selon Slate.fr , l’Etat veut confier à un cabinet privé, Mercuri Urval, le recrutement de ses préfets. D’après Charles Pouvreau, directeur du Pôle Public de Mercuri Urval, interrogé par le site Internet, ce serait « une première européenne ». Et c’est la République française qui le fait. Chapeau ! L’objectif ? « Élargir les viviers de recrutement, en portant une attention particulière à la parité hommes-femmes et à la diversification des origines culturelles, sociales et professionnelles des futurs membres du corps ».
Bien entendu, il ne s’agit pas ici de défendre l’Ena dont sont issus traditionnellement les préfets, ce haut-lieu de reproduction sociale et de formatage plus que de formation de nos élites. Mais le recours à ce cabinet privé chargé d’« élargir les viviers de recrutement » appelle tout de même trois remarques.
D’une part, cette décision marque un terrible désaveu de notre école républicaine, incapable de faire émerger ceux-là même qui doivent être les garants des principes républicains sur l’ensemble du territoire. C’est certainement vrai. Mais ce n’est pas en sous-traitant à un cabinet privé que la barre peut être redressée.
D’autre part, il s’agit paradoxalement, en passant par ce cabinet privé, d’institutionnaliser — rien de moins — la discrimination positive chère à notre président dans le recrutement de nos hauts fonctionnaires. On se souvient du préfet sans nom (puisque réduit à sa condition de « préfet musulman ») nommé par Nicolas Sarkozy en 2003 alors qu’il était au ministère de l’Intérieur.
Enfin, on peut constater que cette volonté de « diversification », Nicolas Sarkozy l’a déjà très largement mis en pratique. Avant même de faire appel à ce cabinet. Mais
« à sa sauce ». Ce que relève Isabelle Mandraud et Jean-Baptiste de Montvalon dans Le Monde : « Les nominations de (très) proches du pouvoir aux postes de préfets de région, appelés à supplanter les préfets
départementaux, se sont inscrites dans un contexte d'"ouverture" du corps préfectoral à d'autres profils (magistrats, ingénieurs, policiers...) : en un an, ces derniers ont représenté deux
tiers des nominations. »
En somme, désavouer l’école républicaine, pratiquer l'« ouverture » et la « discrimination positive » ne sont pas que des pratiques liées aux
convictions de Nicolas Sarkozy. Ce sont aussi des outils qui lui permettent d’asseoir son autorité. Toujours plus. Vivement 2010…
Marianne2.fr